Une collection de stars au tournant du siècle

[THÉÂTRE]. [OPERA].

[PORTRAITS DE FEMMES]. Album de cartes postales

En français, 469 cartes postales

France, 1902-1906

Album avec 469 cartes postales, la plupart écrites, certaines affranchies. Reliure cartonnée recouverte de papier à l’imitation d’une peau de crocodile, titre en blanc sur le plat supérieur « Cartes postales », dos lisse. Dimensions de l’album : 388 × 388 mm.

Cet album de cartes postales est une machine à remonter le temps. Nous plongeons dans le début du XXe siècle avec la cor­res­pond­ance d’une famille char­en­taise, adressée à Mademois­elle Odette Léger résid­ant à Angoulême, de la part de sa famille (Alice et Lily, ses cousines, Ern­estine et Edou­ard) et d’amis. Les cartes postales représent­ant unique­ment des femmes, act­rices de théâtres ou can­tatrices célèbres, nous pouvons dès lors ima­gin­er qu’Odette Léger était grande amatrice de la scène par­is­i­enne. Sa col­lec­tion reflète son goût pour le théâtre, la comédie et le choix des seules femmes révèle une jeune fille qui s’identifie à cet espace de liber­té et de sen­su­al­ité que véhicu­lent les cartes postales.

L’invention d’un nou­vel appar­eil pho­to­graph­ique qui peut reproduire six à huit clichés sur la même plaque de verre d’André Adol­phe Eugène Dis­déri en 1854 va révolu­tion­ner la pho­to­graph­ie. Elle va pren­dre dès lors un nou­vel essor en deven­ant une activ­ité com­mer­ciale à grande échelle. La photo-carte postale ou la photo-carte de vis­ite sont dorénav­ant access­ibles grâce à la baisse sub­stanti­elle du prix des photographies.

C’est grâce à ce procédé que les pho­to­graphes, français ou étrangers, représentés dans l’album et util­is­ant la tech­nique de la plaque sèche pour la plu­part (Léo­pold Reut­linger, Sazer­ac, Walery, Paul Boy­er (actif à Par­is de 1888 à 1906, reprend le stu­dio de pho­to­graph­ie d’Otto Van Bosch), Manuel, Ger­lach, Stebbing (actif à Par­is dès 1890), Ogerau (actif dès 1893 à Par­is), Alte­rocca Terni (Italie), Schloss (New York), Ori­celly (actif à Par­is dès 1890), Seir­ven, Paul Tour­nachon, dit Nadar fils) vont con­stituer des ateliers prolifiques.

La plu­part des mod­èles sont cap­turés en pied, pour révéler l’attitude, la pos­ture, et l’expressivité de leurs corps, mais aus­si en plan améri­cain ou en buste. On peut citer parmi les plus grandes célébrités de l’époque représentées : Sarah Bernhardt, Réjane, Isad­ora Duncan, Maud Amy, Otero, Cavaliéri, Léonie Yahne et tant d’autres. Une carte postale col­or­isée d’après une pho­to­graph­ie de 1908, par A.L., représente, elle, la très célèbre Isad­ora Duncan (1877−1927), dan­seuse et choré­graphe américaine.

La plu­part de ces cartes postales sont réhaussées de couleurs et par­fois même d’éléments décor­at­ifs pail­letés. Toutes ces cartes postales, à la fin du XIXe siècle, ont été créées en util­is­ant le pro­ces­sus pho­to­chrome, une tech­nique suisse née en 1880 qui per­met d’apporter de la couleur à des clichés ini­tiale­ment en noir et blanc.

Léo­pold-Emile Reut­linger (1863−1937), grand pho­to­graphe français, fils du déjà célèbre Charles Reut­linger germano-français, nous a lais­sé une soix­antaine d’album de pho­to­graph­ies con­ser­vées au départe­ment des Estampes et de la pho­to­graph­ie de la Bib­lio­thèque Nationale de France, soit près de 15.360 clichés réal­isés entre 1875 et 1917. Nadar, Reut­linger, Dis­deri, voici le nom des stu­di­os où il était de bon ton de se faire photographier.

La mais­on Reut­linger comptait dans sa cli­entèle une myri­ade d’actrices, artistes de scène, chanteuses de musichall, en somme le Tout-Par­is des spec­tacles et sur­tout des femmes.

L’extraordinaire pop­ular­ité de ces pho­to­graph­ies s’explique par l’abondance et la diversité de leur dif­fu­sion. Déclinés en cartes de vis­ite, cartes postales (comme ici), illus­tra­tions dans les revues, visuels pour la pub­li­cité, les clichés des Reut­linger se trouv­aient par­tout. Les passants admiraient les tirages dans la vit­rine com­mer­ciale que la mais­on pos­sédait sur le boulevard des Itali­ens. Les pho­to­graph­ies illus­traient nombre de titres, parmi lesquels Le Foy­er des artistes ; Nos jol­ies act­rices ; Par­is qui s’amuse ; Les cafés-con­certs ; Pan­or­ama ; Les feux de la rampe… Le par­ticuli­er pouv­ait les acquérir chez cer­tains papeti­ers au format carte de vis­ite afin d’alimenter une col­lec­tion. En outre, les clichés étaient abon­dam­ment util­isés pour la pub­li­cité. Et pour finir, le cli­ent trouv­ait en abond­ance les frim­ousses des demi-mondaines sur les présentoirs à cartes postales.

Cet album est une source extraordin­aire de l’histoire du cos­tume de scène : tragédi­enne, ori­entale, gitane, paysanne, ou encore dans un rôle d’homme (San­noy). Une carte postale rend hom­mage à Mademois­elle Hen­ri­ot, vic­time de l’incendie de la Comédie Française en juil­let 1904 comme l’atteste la note manuscrite.

Seules deux cartes postales à la fin de l’album représen­tent une mère et son enfant.

L’exemple de Paul Nadar (pho­to­graphe actif de 1886 à 1939) est très sig­ni­fic­atif. Hérit­i­er de l’atelier de son père, le célèbre Gas­pard Félix Tour­nachon, pas­sion­né d’art lyrique, développe la pho­to­graph­ie de théâtre. Il représente à plusieurs reprises des membres des troupes de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, ain­si que des inter­prètes étrangers de pas­sage à Par­is, dans leurs cos­tumes de scènes devant des recon­sti­t­u­tions de décors. Il épouse d’ailleurs Mar­ie Degrandi, chanteuse de l’Opéra-Comique, en 1894. Dans l’album que nous présentons, Nadar pho­to­graph­ie Wanda de Boncza (Wanda Rutkowska) (1827−1902), comédi­enne par­is­i­enne et Hen­ri­ette Har­lay [act­rice du théâtre de vaudeville].

Voir : Alligor­ides, Anne, Nadar, l’œil lyrique, [expos­i­tion, Par­is, Caisse nationale des monu­ments his­toriques et des sites, 30 octobre 1992-10 jan­vi­er 1993], Par­is, éd. CNM­HS, 1992 ; Bois­joly, François, Réper­toire des pho­to­graphes par­is­i­ens du XIXe siècle, Par­is, 2009.