Princesse de cire
[SFORZA (Ippolita Maria)]. [D’après LAURANA (Fransceso)]
Buste présumé d’Ippolita Maria Sforza.
Copie d’après un original de Francesco Laurana (1430-1502)
Statue en cire et plâtre patiné du XIXe siècle d’après un original du XVe siècle.
Dimensions : H. 420 mm ; L. 430 mm. (Traces d’usures, plâtre manquant sur l’encolure).
Francesco Laurana est né vers 1420 à Vrana, en Dalmatie, anciennement possession de la République de Venise. Les tentatives pour retracer la carrière de Laurana au XIXe siècle et les exemples de son travail parfaitement identifiables sont restés peu concluants, en partie à cause de sa carrière diversifiée et du fait que nombre de ses œuvres ont été perdues. Laurana apparaît dans les registres pour la première fois à Naples en 1453, puis en France à la cour de René d’Anjou, et celle de Sicile dans les années 1460. Il est surtout connu pour sa série de portraits de femmes qu’il a exécutés à la cour de Naples dans les années 1470.
Plusieurs copies des bustes de Laurana – en marbre, en terre cuite – ont vu le jour entre le XVIe et le XIXe siècle. Selon Chrysa Damianaki, professeure à l’université de Salerno (Italie), le buste original du XVe siècle, identifié comme celui d’Ippolita Sforza, est actuellement conservé à la Frick Collection de New York.
Ce dernier fut trouvé dans le vieux port de Marseille au début du XVIIIe siècle. Après un séjour à Paris à la fin de ce siècle, déplacé par Madame de Narbonne, le buste d’Ippolita Sforza traverse l’Atlantique en 1913 pour être acquis par Henry Clay Frick en 1916 à New York. Ce buste de 467 mm de hauteur, exposé aujourd’hui à la Frick Collection de New York, depuis 1965, ne comporte aucune incision dans la robe du modèle et les scènes mythologiques représentent des sacrifices. Il est daté des années 1470 par la Frick Collection. Cette datation fait polémique et Chrysa Damianaki évoque une datation vers 1489 d’après les caractéristiques stylistiques du buste. Ippolita Sforza meurt en 1488 : le buste aurait été réalisé post-mortem par Laurana. L’inscription « D.M.S. » sur le médaillon – signifiant « Diis Manibus Sacrum » – protégeait les âmes dans leur passage dans l’au-delà et figurait sur les tombes de la Rome antique.
Le second buste en marbre figurant Ippolita Sforza, acquis en Italie par Bode au début du XXe siècle, longtemps attribué au sculpteur Francesco Laurana, est, d’après Chrysa Damianaki, un faux du XIXe siècle. Précédemment dans la collection du Staatliche Museum de Berlin, il a été endommagé par un incendie dans la tour de Friedrichshain, où il était entreposé pour être protégé lors de la Seconde Guerre mondiale, avec plusieurs autres œuvres d’art. La tête du modèle est toujours conservée au musée Bode de Berlin tandis que le buste est au musée Pouchkine de Moscou.
La céroplastie que nous étudions, par les détails incisés de la robe et les scènes de la base représentant des personnages couchés, est la copie exacte du « faux » buste de Berlin. Rien ne correspond dans les détails au buste original de la Frick Collection à New York. La plupart des copies XIXe reproduisent le buste de Berlin, et non pas celui provenant de la Frick Collection comme le plâtre conservé au Victoria & Albert Museum de Londres. Les copies, comme la présente céroplastie, ont des bases similaires décorées avec des figures antiquisantes allongées, et non pas des scènes de sacrifices tirées de l’original. Des restes de pigmentation subsistent sur le marbre, accompagnés d’une légère décoration incisée de la robe, formant ainsi un motif richement doré.
Les moulages en plâtre ont été particulièrement recherchés au XIXe siècle, lorsque la reproduction de grandes œuvres de sculpture et d’architecture était considérée comme essentielle pour la formation des artistes. Une substance de séparation a été appliquée sur la surface de l’œuvre à reproduire et un moule en plâtre a été fabriqué à partir de cette dernière. Le moule serait ensuite utilisé pour créer un nombre quelconque de copies de plâtre supplémentaires. Celles-ci ont souvent été vendues à des artistes et, plus tard au cours du siècle, à des écoles d’art à des fins d’études.
Le modèle a été identifié d’après des miniatures enluminées comme étant Ippolita Maria Sforza, épouse du roi Alphonse II de Naples (bien que cette identification reste hypothétique). Ippolita Maria Sforza (1446−1484) est membre de la famille des Sforza, l’une des plus puissantes familles de condottieri qui dirigent le duché de Milan entre 1450 et 1535 environ. En 1465, âgée de 19 ans, Ippolita épouse Alphonse d’Aragon, duc de Calabre (1448−1495), fils aîné du roi Ferdinand Ier de Naples. Alfonso était un fervent partisan du mécénat artistique à Naples et, comme le talent artistique local n’était pas particulièrement prolifique, le souverain fit venir des artistes étrangers à la cour, dont Francesco Laurana. Laurana a ainsi été chargé de produire une série de bustes de portraits des dames royales aragonaises. Le buste d’Ippolita Sforza serait le dernier de la série. Il comprend en effet l’ensemble des caractéristiques stylistiques du sculpteur de ses derniers portraits.
Réalisé très certainement post-mortem (le seul de la série), le visage d’Ippolita est empreint d’une profonde spiritualité et témoigne de la maturité artistique du sculpteur – contrairement aux autres portraits plus véristes comme, par exemple, celui de Battista Sforza conservé au musée du Bargello à Florence (Italie).
La céroplastie, l’art de modeler la cire, est connue dès l’Antiquité romaine dans le culte votif et de l’art mortuaire. En France, la cire est à nouveau usitée dès la fin du Moyen Âge afin de réaliser des effigies funéraires des souverains et des saints. La basilique Saint-Denis conservait d’ailleurs, jusqu’à la Révolution, les bustes des rois de France en cire réalisés par les artistes de cour. Cette copie en cire du buste de Laurana serait-elle un écho aux masques funéraires, dont celui très certainement d’Ippolita Sforza, qui furent diffusés à la Renaissance ? Le buste représentant Battista Sforza de Laurana est d’ailleurs largement inspiré de son masque funéraire en terre cuite conservé au musée du Louvre. Giorgio Vasari évoque ces bustes de cire dans les maisons praticiennes de Florence :
« Orsino fit trois [portraits] en cire, grandeur nature, soutenus à l’intérieur, comme nous l’avons déjà expliqué, par une armature de pièces de bois, entrelacées de joncs coupés […]. […] il le fit si bien qu’elles [les statues] ne représentaient plus des hommes de cire, mais des vivants […]. » (G. Vasari, La vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes […], éd. André Chastel, t. IV, Paris, 1983, p. 291).
Jusqu’au XIXe siècle, les monarchies austro-hongroises voient un véritable art de cour se créer autour des bustes en cire d’empereurs et de personnalités princières : le buste de l’impératrice Marie-Louise (1791−1847), épouse de Napoléon Ier, en est un exemple tardif vibrant (Vienne, Bibliothèque Nationale). Le XIXe siècle, empreint d’une Antiquité retrouvée – elle-même source d’inspiration première de la Renaissance de Francesco Laurana – se caractérise ici par la symbiose de la céroplastie et de la sculpture votive comme art de cour.
Voir : Damianaki, Chrysa, I busti femminili di Francesco Laurana tra realtà e finzione, Verona, Cierre, 2008. – Schlosser, Julius von, Histoire du portrait en cire, Paris, Macula, 1997.