




[TORAH]. [BIBLE HEBRAÏQUE].
Deuteronomium
Bible hébraïque
Paris, Robert Estienne, [1546]
In-16, 108 ff. n. ch. (collation : P8, Q8, R8, S8, T8, V8, X8, Y8, Z8, AA8, BB8, CC8, DD8, EE4 (dont le dernier blanc)), tome complet en lui-même (cinquième partie d’une série de 17 parties). Reliure de basane noire XVIIe, dos à nerfs, filet doré intérieur, tranches dorées, sous étui moderne, pièce de titre au dos avec la mention « Deuter. » en lettres dorées. (Large manque de cuir en pied du dos et au premier plat, coiffe inférieure absente, coins frottés, quelques petites mouillures angulaires, marges rognées). Dimensions : 112 × 63 mm.
English abstract
[BIBLE].
Deuteronomium
Paris, Robert Estienne, [1546]
Annotated by a single minute and erudite hand, in Latin, Greek, French and Hebrew.
In-16, 108 ff., complete in itself (although part of a complete set of 17 parts). Dark brown calf (battered condition), cropped short in certain parts. Dimensions: 112 × 63 mm.
Remarkable copy of the work of a French biblical exegete from the second half of the 16th century, concerned with accuracy as much in form as in the content of scriptural text. The fifth book of the Hebrew Bible and the last in the Torah, Deuteronomy contains the last speeches and the account of the death of Moses as well as the second code of laws after that of the Exodus. Although an isolated volume in the series printed by Estienne, this annotator merits special attention and might lead to an identification.
Remarquable exemplaire de travail d’un bibliste français de la deuxième moitié du XVIe siècle soucieux d’exactitude tant sur la forme que le fond de texte scripturaire. Cinquième livre de la Bible hébraïque et dernier de la Torah, le Deutéronome contient les derniers discours et le récit de la mort de Moïse ainsi que le second code de lois après celui de l’Exode.
Provenance : lecteur français de la seconde moitié du XVIe siècle.
Références : BP 16 n°112317 ; Renouard, Annales de l’imprimerie des Estienne, 65, n°1 ; Schreiber, The Estiennes, 82 (« one of the most impressive examples of Hebrew printing of the French Renaissance… ») ; L. Schwarzfuchs, Le livre hébreu à Paris au XVIe siècle, pp. 34 – 37.
Langue des annotations : latin, grec, hébreu et français.
Seconde édition de la Bible hébraïque publiée par Robert Estienne entre 1544 et 1546. Deutéronome (5e partie), un volume. Texte hébraïque, seule la page de titre est bilingue latin/hébreu (Deuteronomium et « Elle Haddebarim »). Belle impression rétroverse avec la célèbre marque à l’olivier sur la page de titre.
Première édition in-16 de cette bible de poche suite au succès de la première in-4 parue entre 1539 et 1544. Le texte est vocalisé selon la tradition massorétique ; il reprend le texte de la princeps hébraïque publiée par Soncino en 1488. Cette édition de 1544 – 1546 est due à la collaboration du grand hébraïsant François Vatable (c.1497 – 1547) avec Robert Estienne qui l’accompagna dans son entreprise.
Pour Renouard, « Cette petite édition, qu’on dit fort exacte, est vraiment un bijou typographique, et peut-être ce qui a jamais été imprimé de plus beau en langue hébraïque ».
Les dix-sept parties de cette édition pouvaient être acquises séparément, chaque volume étant complet en soit.
Cet exemplaire a été entièrement annoté par un seul érudit pratiquant les trois langues bibliques (latin, grec et hébreu). L’annotation régulière se fait dans un très petit module. L’imprimeur Robert Estienne, nommé imprimeur royal pour l’hébreu depuis 1539, est lui-même pionnier en matière de publications de langues sacrées, en particulier sur le corpus biblique ce qui lui vaudra des mises à l’index systématiques (voir Torrens). Il est étroitement associé aux premiers lecteurs royaux et aux aspirations d’une génération trilingue. Le texte fondamental qu’est le Deutéronome fixe un second code de lois et il est le dernier concernant l’action de Moïse, avec les passages essentiels que sont le don du Décalogue, l’institution des juges et le veau d’or.
Un examen attentif des annotations latines révèle de nombreuses références aux notes d’élucidation attribuées à Vatable extraites de la « Bible dite de Vatable », Bible latine publiée par R. Estienne en 1545 (voir D. Barthélémy). De nombreux exemples en attestent. De même on trouve de fréquentes citations de la Septante en caractères grecs, inclusions généralement brèves. Ainsi s’écartant de la doctrine catholique qui attribue la composition du Pentateuque entièrement à Moïse, ces références à la Septante servent de caution pour une attribution à Josué du dernier chapitre du Deutéronome qui voit Moïse monter sur le mont Moab en face de Jéricho avant sa mort (Dernier f. de texte : « Caput 34 quod scriptum fuit a Josue ut aiunt Sep. »). Par ailleurs de nombreuses références indiquent l’usage classique des parallèles dans le corpus biblique : au f. R 6v pour la Genèse (« Vide Genes. 20 ») et les psaumes ; à propos de la mort d’Ahard (?), « de morte ejus vide M…23 », Genèse 3 au f. T i v° sur l’idolâtrie et la combustion par le feu.
Notre exemplaire illustre précisément ce que Sophie Kessler-Mesguich dit de la pratique exégétique de Vatable : « La philologie est (donc) constamment présente dans les notes de Vatable, dont le but est de fournir les données nécessaires à l’élaboration d’un commentaire de type historique, dans lequel le sens littéral est systématiquement privilégié aux dépens de l’interprétation allégorique » (1998, p. 365).
L’essentiel de l’annotation est d’une encre brun clair, tandis que des ajouts parcimonieux apparaissent dans une teinte de brun plus foncé (plume plus fine).
La provenance française ne fait pas de doute, en témoigne les annotations dans cette langue : ainsi au f. S i r° : « pour aujourd’hui ou pour demain ton fils te demande… », au f. T. 3 v : « Pour le cheminement Dieu pardonna a Ahard (?), mais à la fin il en mourut » ou encore au f. Z 4 r, sur la virginité des jeunes filles « S’il a fait parler d’elle en mal ».
Il faut souligner par ailleurs l’usage important de références historiques et littéraires autre que bibliques, typiques d’un commentateur humaniste. Nous trouvons ainsi de nombreuses références à la vie quotidienne et au monde vivant. Ainsi f. V 7 v à propos du verset où l’action de Yahwé est comparée à « l’aile d’un aigle » (Deut. 28, 31 et 44) l’annotateur s’en réfère à l’Histoire naturelle de Pline à propos d’un autre rapace, le pygargus (10, 13 – 14). De même, à propos des malédictions qui attendent Israël si la volonté de Yahwé est contrecarrée, l’annotateur met l’accent sur les traductions erronées concernant le monde animal. Il s’efforce d’identifier les espèces nuisibles qui détruisent les cultures citées dans la Bible et apporte des précisions sur le terme générique hébraïque « boeuf » qu’il identifie comme étant un camelopardalis, c’est-à-dire une girafe. L’annotateur se réclame par ailleurs d’un vers des Géorgiques (I, 149 – 150) de Virgile, au ff. BB 4 v, qui mentionne la maladie des blés, « la nielle pernicieuse » (« mala culmos esset robigo ») puis développe un commentaire sur la gale (scabies) et les hémorroïdes précisant qu’elles provoquent ces dernières provoquent un « prurit massif ».
On relève des notes concernant la rhétorique, le plus souvent rédigées en grec, telle que la métaphore (f. R 8r), la parenthèse (parenthesis, « car la montagne s’est embrasée, Deut.5, 23), ou la plus technique épanalepse (f. CC 3 v). Cela témoigne d’une lecture fine du texte aussi bien quant aux procédés du style qu’à l’élucidation historique.
Dick Wursten avec justesse souligne l’importance de cette édition comme support de cours : « A series of reprints from 1543−1546…, destined for students, to buy and make notes while the professor lectured on these topics » (« François Vatable… », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, 2011, p. 580).
A plusieurs reprises l’annotateur ajoute des notes interlinéaires pour donner l’équivalent latin ou grec de l’hébreu qu’il maîtrise de toute évidence, alors que les notes de cours prises par des étudiants aux leçons de Vatable en sont quasiment dépourvus (cf. une reportatio d’une partie du Deutéronome par Mathieu Gautier au cours de Vatable en 1537 : BnF ms. lat. 537, f° 82 sq, voir Barthélémy 1990). Qui plus est, l’annotateur fournit les mêmes sources en hébreu : « e-ne-ka » (les yeux), au f. R 8 r, avec indication en grec de la leçon de la Septante incluse dans une paraphrase latine (« rediderunt kai tosan asaleuta pro ophthalmon sou hinc immobilia ante oculos tuos ») ou encore « lo te-nas-su » (ne tente pas) en Deut. 6, 16.
La page de titre présent une mention manuscrite en hébreu, malheureusement rognée : peut-être s’agit-il une marque de possession.
Le dernier feuillet est occupé par le report d’une citation du Contra Maximinum Arianum episcopum de St Augustin (II, XIV, 3), sur les conciles de Nicée et d’Rimini (« De conciliorum auctoritate »).
Tous ces constats ne sont pas sans rappeler les notes trilingues d’un Isaac Casaubon (1559−1614) dans ses travaux bibliques où de nombreuses phrases intègrent dans la syntaxe d’une phrase en latin des expressions grecques et hébraïques (voir Grafton et Weinberg). A l’instar de Casaubon, c’est un bibliste chevronné qui commente notre exemplaire du Deutéronome avec pour préoccupation l’élucidation de sources, la compréhension précise du détail lexical et contextuel qui permettront un jour peut-être de l’identifier.
Voir : Barthélémy, D. « Origine et rayonnement de la ‘Bible de Vatable’», dans Backus et Higman (éd.), Théorie et pratique de l’exégèse, Genève, 1990, pp. 385 – 401. – Kessler-Mescuich, S. « L’enseignement de l’hébreu et de l’araméen à Paris (1530−1560) d’après les œuvres grammaticales des lecteurs royaux », Les origines du Collège de France (1500-1560), Klincksieck/Collège de France, 1998, pp. 357 – 374. – Torrens, A. « Les imprimeurs d’hébreu et l’hébraïsme en France », dans Les Hébraïsants chrétiens en France au XVIe siècle…, Droz, 2018, pp. 89 – 103. – Grafton, A. et J. Weinberg, J. ‘I have always loved the Holy Tongue’ : Isaac Casaubon, the Jews and a Forgotten Chapter in Renaissance Scholarship, Cambridge (Mass.), Harvard UP, 2011.