Pour lors le Médecin condamne les sophismes ;
Sur l’observation il fait ses Aphorismes.
Il découvre du sang le véritable cours,
Il est intelligible, il polit ses discours.

Joachim Gagnière, Les principes de physique, Avignon, 1773

[HIPPOCRATE]. [GAGNIÈRE, Joachim]

Les aphorismes d’Hippocrate avec la traduction en vers français par Joachim Gagnière, medecin

En français et en latin, manuscrit sur papier

France, Dauphiné (Saint-Vallier), daté 1786

161 pp., précédées et suivis de 2 feuillets de garde de papier, complet, écriture cursive à l’encre brune, quelques repentirs, quelques papillons corrigeant le texte ; quelques notes éparses sont dues à une seconde main, texte latin sur la page de gauche et texte. Reliure demi-vélin, dos lisse, plats en carton recouverts de papier marbré tourniqué, tranches rouges. Dimensions : 190 × 270 mm.

English abstract

[HIPPOCRATES]. [GAGNIÈRE, Joachim].
Les aphorismes d’Hippocrate in a French Verse Translation by Joachim Gagnière, physician


In French and Latin, manuscript on France paper
France, Dauphiné (Saint-Vallier), dated 1786


Unpublished adaptation in Alexandrine verse of the Aphorisms of Hippocrate by Joachim Gagnière, a humanist doctor and man of science.


He provides a very elegant French translation facing the Latin text. We know little about him, he dedicates the present translation to his son: his preface is quite revealing of a late eighteenth-century physician’s position on his profession and calling. Gagnière is known to have had some problems and a tense relation with Jean-Jacques Rousseau.

Adapt­a­tion inédite en vers alex­an­drins des Aph­or­ismes d’Hippocrate par Joachim Gag­nière con­nu pour ses démêlés avec Jean-Jacques Rousseau et la pub­lic­a­tion d’un ouv­rage intit­ulé Prin­cipes de la physique (Avign­on, 1773). Méde­cin human­is­te, Joachim Gag­nière pro­pose ici ses “aph­or­ismes” qui témoignent de son excellence.

PROVEN­ANCE

  1. Manuscrit auto­graphe daté 1786. L’ouvrage est dédié à son fils : « Voila mon fils, le modele que je vous pro­pose. Comme vous n’êtes que dans vos trois ans, il n’y pas d’apparence que je vous dirige dans cette car­ri­ere. Si par la suite vous vous decider à embrass­er ma pro­fes­sion, je n’ai rien de mieux à vous con­seiller que de vous rendre fam­iliers les Aph­or­ismes d’Hippocrate. Com­mencez à les graver dans votre mém­oire dès l’âge de quin­ze à seize ans… » (pp. 2 – 3). Joachim Gag­nière con­seille de plus à son fils : « Ne vous préoc­cu­pez que des obser­va­tions faites sur les mal­ad­ies ; & ne lisez d’autres livres que ceux qui trait­ent de la méde­cine pratique. C’est la seule route & la plus sure que vous ayez à pren­dre pour exer­cer avec gloire la méde­cine & la port­er au faîte de la per­fec­tion » (p. 3).
  2. France, col­lec­tion particulière.

Dans cette adapt­a­tion inédite, en vers alex­an­drins, des Aph­or­ismes d’Hippocrate, à partir d’une tra­duc­tion lat­ine, l’auteur réus­sit la prouesse de ne jamais trahir le texte tout en don­nant libre cours à sa verve poétique, sans lass­er le lec­teur mal­gré l’aridité et le tra­gique du sujet. D’un aph­or­isme lap­idaire, lui vient l’inspiration d’un poème de 16 vers où le savoir de son temps vient com­bler les lacunes hip­po­cratiques (Aph­or­isme XXIV (livre III ; pp. 48 – 51)) :

Aph. XXIV

In aeta­ti­bus autem talia eveni­unt par­vis quidem & recens natis puer­is aphtae, vomit­us, tusses, vigili­ae pav­ares, umbi­l­ici inflam­ma­tiones, auri­um humiditates

Aph. XXIV

Des mal­ad­ies d’un nou­veau né

Depuis que nous nais­sons jusques à notre mort,

Chaque âge offre des maux, tyr­ans de notre sort

L’enfant voit-il le jour ? Sa mis­ere commence :

Il parle par des cris, signes de sa soufrance.

Il gem­it sous le poid des acci­dents divers,

En étant tout à coup plongé dedans les airs ;

C’est encor de ses maux une nou­velle source,

Lor­sque dans les pou­mons le sang etend sa course ;

L’ombilic enflam­mé lui donne des douleurs ;

Ou la matiere noire est l’objet de ses pleurs.

A l’inverse, et dans le même esprit, il lui arrive d’être plus syn­thétique (pp. 104 – 105) :

Aph. LXIII

Simi­liter autem etiam in mas­cu­lils aut etiam prop­ter cor­por­is rar­it­atem spir­it­us extra fer­tur, ut semen non demit­tat ; aut prop­ter dens­it­atem humidum non per­vadit for­as ; aut prop­ter fri­gid­it­atem cal­idata­tem hoc idem contingit.

Aph. LXIII

De la stéril­ité de l’homme

Le chaud, le froid, le sec & trop d’humidité

Rendent l’homme sujet à la stérilité.

On sait peu de choses sur Joachim Gag­nière, sinon qu’il est l’auteur d’un ouv­rage intit­ulé Prin­cipes de la physique (Avign­on, 1773), qu’il cite en note dans notre manuscrit : « Vous lirez, mon fils, le 14e liv. de ma Physique » (p. 43 ; voir aus­si pp. 87, 105). Led­it livre fut à l’origine d’un lit­ige avec Jean-Jacques Rousseau. Il se rendit de Saint-Val­li­er à Bour­goin pour sou­mettre à l’approbation du maître son prin­cipe de physique et fut écon­duit sans qu’il ait pu le ren­contrer. « Je ne veux pas voir votre poëme… », écri­ra Rousseau à Gag­nière qui, dépité, décida de pren­dre le pub­lic à témoin et pour juge en pub­li­ant ses échanges épis­tolaires avec le philosophe :

Voici le fait. Arrivé à Bour­goin, on me dit que Mr. Rousseau étoit à Mon­quin dans le château de Mr. de Sez­arge. Ayant pour guide son Per­ruquier, je grav­is une montagne couverte de neige, & de la Mais­on des R.R. Père Jac­obins où je m’arrêtais, je me déter­mine à lui écri­re. Gag­nière, Joachim, Prin­cipes de la physique (Avign­on, 1773, p. ix).

Sur les rela­tions ten­dues entre Rousseau et Gag­nière, on con­sul­tera la Cor­res­pond­ance com­plète de Jean Jacques Rousseau. Tome XXXVII jan­vi­er 1769-avril 1770 (Oxford, the Voltaire Found­a­tion, 1980), no. 6667, Lettre de Joachim Gag­nière à Rousseau (13 fév­ri­er 1770) et no. 6668, Lettre de Rousseau à Joachim Gag­nière ; voir aus­si la réponse cinglante de Gag­nière à Rousseau, no. 6680, « Le docteur Joachim Gag­nière à Rousseau [le 6 mars 1770] […] Au reste mon inten­tion etoit de demander votre avis sur quelques mor­ceaux de mon ouv­rage, et non pas de man­di­er des éloges… ». Gag­nière ter­mine sa missive par ces vers :

La Sci­ence n’est qu’un vain nom :

Elle parle par jalousie

Le plus souvent dans son jargon

La haine se mêle à l’envie.

Quit­tés cet esprit pontilleux !

Ne vantés plus votre sagesse !

Et deven­ant moins orgeuilleux

Vous con­noîtrés la politesse !

L’entreprise de Gag­nière est des plus intéress­antes. Elle révèle un praticien hon­nête et com­pétent respectueux des anciens, soucieux de part­ager le savoir en fais­ant appel à la poésie dont les vertus mné­mo­tech­niques viendraient second­er avec suc­cès la forme aphoristique :

« Semblable à un géo­graphe qui arrange dis­tincte­ment tous les pays de la terre sur une carte, notre vie­il­lard a reduit en sen­tences générales ou par­ticulières toutes les opéra­tions de la nature. Ses aph­or­ismes n’admettent point d’hypothèses. Ce ne sont que des expéri­ences & des obser­va­tions médi­cinales ou de lui ou des autres. Par leur brieveté, ils soula­gent la mém­oire ; & par la vérité qu’ils ren­fer­ment, ils devi­ennent d’un grand secours pour le pro­no­st­ic des mal­ad­ies ». (p. 2).

Gag­nière précise :

« Les Aph­or­ismes sont des sen­tences cour­tes, solides & absolues, sans avoir rap­port avec ce qui pré­cede ni à ce qui suit. Quelques unes de ces sen­tences sont obscures, fausses. Dans les diverses inter­préta­tions qu’ont souffertes les premières, j’ai suivi les com­mentateurs qui m’ont paru les rendre plus claires & plus intel­li­gibles. Pour ce qui est des fausses ou douteuses, tous les méde­cins depuis Hip­po­crate jusqu’à nos jours n’ont rien dit de mieux pour eclair­cir nos doutes ou dis­siper nos erreurs » (p. 2).

Le premi­er aph­or­isme donne le ton de l’ouvrage :

L’art demande du temps ; trop courte est notre vie ;

L’occasion qui fuit, nous est comme ravie ;

L’expérience rend le mal plus perilleux

Le juge­ment devi­ent dif­fi­cile ou douteux.

C’est peu qu’un méde­cin ver­sé dans sa science,

S’attire le respect, l’amour, la confience ;

Il faut que le mal­ade, exact en son récit

Ecoute ses con­seils, fasse ce qu’il lui dit

Qu’il soit docile aux soins d’une grande fidèle :

Tout doit à sa santé con­courir avec zèle.

Les édi­tions imprimées des œuvres com­plètes d’Hippocrate pub­liées au XVIe siècle sont les premières à port­er à la con­nais­sance du pub­lic un cor­pus d’une soix­antaine de traités médi­caux attribués avec plus ou moins de cer­ti­tude à Hip­po­crate de Cos, méde­cin né au Ve siècle avant J.C. Avant la Renais­sance, on ne con­nais­sait d’Hippocrate que quelques traités traduits en lat­in au Moy­en Age, essen­ti­elle­ment dif­fusés par les Arti­cel­lae. Au XVIIe et XVIIIe siècle, il parait plusieurs tra­duc­tions françaises mais aucune en vers alex­an­drins. Pour les Aph­or­ismes, citons le cas intéress­ant con­tem­po­rain de Gag­nière, celui de Lefe­b­vre de Vil­lebrune (Jean-Bap­tiste). Œuvres d’Hippocrate. Aph­or­ismes, Par­is, Barrois le jeune, 1783 ; et la même année, le tra­duc­teur pro­pose une ver­sion en vers lat­ins. Dernière en date des édi­tions com­plètes de la Col­lec­tion hip­po­cratique, l’œuvre monu­mentale d’Émile Lit­tré, pub­liée en 10 volumes parus de 1839 à 1861, con­stitue aujourd’hui encore l’édition de référence.

TEXTE

p. 1, page de titre ; pp. 2 – 3, Dédicace à son fils, incip­it, « Ayant en quelques légers accès de goute, je demeurai deux ans sans en res­sentir mais j’en pris un le 7e jan­vi­er 1786 qui me dura tout l’hiver & je fus obligé de garder la chambre… » ; pp. 4 – 17, Aph­or­ismi Hip­po­cratis. Liber primus / Les aph­or­ismes d’Hippocrate. Livre premi­er ; pp. 18 – 37, Liber secundus / Livre second ; pp. 38 – 53, Liber ter­ti­us / Livre troisième ; pp. 54 – 81, Liber quartus / Livre quatrieme ; pp. 82 – 109, Liber quin­tus / Livre cin­quième ; pp. 110 – 127, Liber sex­tus / Livre six­ième ; pp. 128 – 155, Liber sep­timus / Livre sep­tieme ; pp. 156 – 161, Liber octavus / Livre huitieme.

BIB­LI­O­GRAPH­IE

Chér­eau, Achille. Le Parnas­se médic­al français, ou dic­tion­naire des méde­cins-poètes de la France, Par­is, 1874.

Gag­nière, Joachim. Les prin­cipes de la physique (en vers) par Joachim Gag­nière, docteur en méde­cine (à St-Val­li­er, en Dauph­iné), Avign­on, Louis Cham­beau, 1773 [voir Con­lon (Pierre M.). Le siècle des lumières. Bib­li­o­graph­ie chro­no­lo­gique, tome XVII, 1773 – 1775, ref. 73 : 820 ; texte en vers].

Hip­po­crate, L’art de la méde­cine, tra­duc­tion et présent­a­tion par Jacques Jou­anna et Car­oline Mag­delaine, Par­is, Flam­mari­on, 1999.

Malo­ney, G. et R. Savoie. Cinq cents ans de bib­li­o­graph­ie hip­po­cratique (1473−1982), St-Jean-Chryso­stome (Québec), 1982.