[ENLUMINEUR VENITIEN ?]
Initiale « V » historiée. Ascension
Fragment d’un livre de chœur
Italie, Venise ?, [vers 1225-1250]
Tempera et or bruni sur vélin
Dimensions : 91 × 77 mm. (Sous encadrement de style Renaissance).
English abstract
Historiated initial V. Ascension
Fragment of a choir book
Italy, Venice?, [circa 1225-1250].
Venetian-Paduan illuminator
Dimensions: 91 × 77 mm. Framed.
This historiated initial “V”, formerly from a choir book (antiphonary or gradual), introduces the Mass of the Ascension. The initial presents close stylistic affinities with the productions of the Veneto-Paduan school of the mid-13th century, and can be compared with an antiphonary of San Marco (private collection, see Canova and Cattin, Arte veneta 35, 1981, pp. 9-26) datable to the end of the second quarter of the 13th century. It also affords a comparison with the Epistolary of Johannes de Gaibana, decorated by the Master of Gaibana in 1259 (Padua, Bibl. Capit., ms E 2, see Cattin et al., I libri di San Marco…, 1995, pp. 53-64 and cat. N ° 14), and works related to it, such as the Oxford Psalter (Bodleian Library, ms. Canon. Lit. 370) or an initial “M” sold at Christie’s in 2002 (Christie’s, November 20, 2002, lot 3). A strong Byzantine component permeates the style of this Master.
Cette initiale historiée « V », découpée dans un livre de chœur, un antiphonaire ou un graduel, introduit la messe de l’Ascension et pourrait correspondre à l’une ou l’autre antienne : « Viri Galilaei, quid aspicitis in coelum ? Hic Jesus qui assumptus est a vobis in coelum, sic veniet… », « Videntibus illis elevatus est, et nubes suscepit eum in coelo… » ; Act. 1, 11 et 9, (cf. Hesbert, CAO, III, n°5458 et 5392).
Au sein de la panse arrondie du V, deux anges soutiennent la mandorle du Christ en majesté bénissant, sous les regards des douze apôtres, représentés en buste dans la partie inférieure de l’initiale. Leurs visages dressés, leurs mains écartées et leurs doigts levés traduisent leur émerveillement devant le miracle en train de s’accomplir. Cette composition s’inscrit dans un cadre rectangulaire auquel s’agrippent les montants supérieurs de l’initiale et de part et d’autre duquel débordent les ailes des anges.
L’ensemble est rehaussé d’une palette restreinte de couleurs lumineuses et chatoyantes (bleu soutenu et bleu clair, rouge orangé, vert, beige rosé, blanc), et se détache sur un fond d’or bruni. De l’or a également été appliqué sur les auréoles et certaines portions du cadre rectangulaire. A la différence de l’or, dont la couche friable est très endommagée et laisse apparaître çà et là le parchemin, peut-être en raison d’une présence importante de cuivre, les peintures ont conservé leur éclat et n’ont guère subi d’altérations. Le maître qui a exécuté cette initiale se distingue par un sens très net de la composition, un dessin ferme et vigoureux, un rendu plastique et monumental et une grande expressivité. Autres caractéristiques du style de ce maître, l’ovale régulier et légèrement arrondi des visages est encadré par une longue chevelure rectiligne coupée en deux par un épi central, et les figures sont drapées dans d’amples vêtements aux plis sophistiqués qui suggèrent les volumes et l’anatomie des corps.
Une forte composante byzantine imprègne le style de ce maître, qui emprunte certaines conventions aux peintres d’icônes. Cette influence orientale est particulièrement sensible dans le rendu de la lumière et du relief sur les visages, aux joues striées de traits blancs et de touches blanches, rosées et vertes, lesquelles sont d’une teinte plus sombre sur le visage du Christ afin de suggérer une barbe, tandis que l’expressivité des visages, aux contours accentués d’un cerne noir, et la vivacité des coloris se rattachent à une manière plus nordique, pratiquée par les enlumineurs germaniques.
Discrète, l’ornementation se concentre sur la charpente de l’initiale, sur laquelle se greffent quelques feuillages aux lobes ourlés d’une succession de filets blancs d’inspiration septentrionale, une frise de ronds en camaïeu et le visage d’un personnage.
D’une grande qualité d’exécution, cette œuvre présente des affinités stylistiques étroites avec les productions de l’école vénéto-padouane du milieu du XIIIe siècle, et peut être rapprochée en particulier d’un antiphonaire de San Marco (collection privée ; cf. Canova-Cattin, 1981, p. 9 – 26) exécuté vers la fin du second quart du XIIIe siècle, ainsi que de l’Épistolier de Johannes de Gaibana, décoré par le Maître de Gaibana en 1259 (Padoue, Bibliothèque capitulaire, ms. E 2 ; cf. Cattin-Canova, 1995, p. 53 – 64 et cat. n°14), et des œuvres qui lui sont apparentées, telles le Psautier d’Oxford (Bodleian Library, ms. Canon. Lit. 370) ou cette initiale « M » passée en vente chez Christie’s en 2002 (Christie’s, 20 novembre 2002, n°3).
Imprégnées d’une forte influence byzantine, ces œuvres offrent la plupart des ingrédients de l’enluminure vénéto-padouane, avec leurs figures aux visages striés d’ombres et de lumières, leurs draperies structurées, leurs tuniques aux encolures évasées, leurs initiales enchâssées dans d’épais encadrements colorés, leurs couleurs éclatantes où dominent le rouge, le bleu et le vert et leur ornementation de feuillages aux lobes rehaussés de multiples traits blancs, d’inspiration septentrionale, autant de traits que l’on retrouve dans l’initiale de l’Ascension. Des parallèles peuvent également être établis avec les mosaïques de l’atrium de Saint-Marc de Venise réalisées dans la seconde moitié du XIIIe siècle, en particulier au niveau du traitement des draperies et des visages – l’apparition du Seigneur à Babel, représentée sur la voûte nord de la baie située à l’entrée de l’atrium, offre à cet égard d’étroites ressemblances avec le Christ en majesté de l’initiale (cf. Demus, 1984, 1, p. 149 – 152 et 2, pl. 46) –, de même qu’avec l’enluminure du premier style bolonais qui s’est développé à partir du milieu du XIIIe siècle et qui partage des caractéristiques communes avec l’enluminure vénéto-padouane.
Les enlumineurs d’Émilie-Romagne utilisent une palette chromatique restreinte semblable à celle de l’initiale, ainsi qu’en témoigne notamment la Bible BnF latin 22 (cf. Avril-Gousset, 1984, n°103), exécutée vers 1267, et pratiquent volontiers un style très byzantinisant.
Ces quelques jalons suggèrent que cette initiale a pu être exécutée dans la région de Venise vers la fin du second quart du XIIIe siècle, probablement après l’antiphonaire de San Marco, l’un des premiers témoins attestés de la manière grecque, et avant l’Épistolier de Gaibana, qui en est, quant à lui, l’une des manifestations les plus abouties. Celle-ci vient enrichir notre connaissance sur l’enluminure du Nord-Est de l’Italie vers le milieu du XIIIe siècle, à une époque où les artistes cherchaient à se dégager de la manière romane pour construire un langage nouveau à partir d’influences diverses issues aussi bien de l’Est que de régions septentrionales.
Texte : Au verso de cette initiale figurent deux lignes de texte ([…]ius […] orem[…]), accompagnés d’une notation musicale carrée sur quatre lignes rouges.
Bibliographie : Western Manuscripts and Miniatures: auction, London, Sotheby’s, Tuesday 22 june 2004, n°18 ; Valuable printed Books and Manuscripts, London, Christie’s, 23 November 2011, n°3 ; François Avril et Marie-Thérèse Gousset, avec la collaboration de Claudia Rabel, Manuscrits enluminés d’origine italienne, Paris, Bibliothèque nationale, 1984, n°103 ; Claudio Bellinati et Sergio Bettini, L’Epistolario miniato di Giovanni da Gaibana, Vicence, 1968, 2 vol. ; Giordana Mariani Canova, Giulio Cattin, « Un preciozo antifonario veneziano del duecento : miniature, liturgia e musica », Arte veneta 35 (1981), pp. 9 – 26 ; Giulio Cattin, Giordana Mariani Canova, Paolo Selmi, I libri di San Marco : i manoscritti liturgici della Basilica Marciana, Venise, 1995, pp. 53 – 64 et cat. n°14 ; Giordana Mariani Canova, La miniatura a Padova dal Medioevo al Settecento, Modène, 1999, pp. 47 – 51 ; Giordana Mariani Canova, « La miniatura del duecento in veneto », La miniatura in Italia, I, Naples, 2005, pp. 156 – 163 ; Otto Demus, The Mosaics of San Marco in Venice, 2. The Thirteenth Century, Chicago-Londres, 1984, 1, p. 149 – 152 et 2, pl. 46.