Rarissime reliure de grand luxe, appartenant au duc Henri II de Montmorency.

[RELIURE]. [MONTMORENCY Henri II, duc de]. [MACÉ RUETTE].

Livre d’heures à l’usage de Rome

S. l. n. d. [Paris, vers 1620-1625]

En latin et français ; in-16, 143 feuillets (1 f. bl., 1 f. avec vignette, 2 ff. bl., 134 ff., 5 ff. bl. dont le dernier comprend une vignette) ; encre brune, rouge, bleue, et gouache sur papier vergé.

Chagrin noir orné d’un décor doré de filets et petits fers, incrusté au dos et sur les plats de turquoises et cornalines, contreplats de chagrin au décor orientalisant, fermoirs, gardes de soie, tranches dorées (reliure d’époque).

English abstract

[MESSAGER Jean]. [GALLE Théodore].
[MONTMORENCY Henri II, Duke of].

Book of Hours (Use of Rome)


Binding attributable to Macé Ruette (1584-1644)
France, Paris (?), c. 1620-1625


Elegant little manuscript Book of Hours, in a fine goatskin binding with inlaid semi-precious stones, likely made for Henry II of Montmorency (1595-1632), Duke of Montmorency, admiral of France from 1612 to
1626, whose coat of arms is carved on a polished carnelian. The Horae are bilingual Latin-French, with in particular the Psalms (ff. 75-116) translated into French. Fine calligraphy is associated with eight colored engravings signed by the French Jean Messager (c. 1572-1649) and the Flemish Theodore Galle (1571-1633). There are oriental features to
the binding, especially on the decorated pastedowns.

This binding is attributed to Macé Ruette (see I. de Conihout, “Bijoux de dévotion. Canivets, reliures et livres de luxe pour Marie de Médicis”, in Henri IV.
Art et pouvoir
, Tours, 2016, pp. 219-257).

Bel exem­plaire dans une fine reli­ure de chag­rin avec incrust­a­tions de pier­rer­ies établie très vraisemblable­ment pour Henri II de Mont­morency (1595−1632), duc de Mont­morency, amir­al de France de 1612 à 1626, dont le blason en cor­naline fig­ure sur le plat supérieur. Amir­al de France à 17 ans, il par­ti­cipe aux guerres contre les prot­est­ants au ser­vice de Louis XIII. Il sera égale­ment gouverneur du Langue­doc. Henri II de Mont­morency est nom­mé Maréchal de France en 1630. De 1620 à 1625, il sera égale­ment vice-roi de la Nou­velle France. Son nom rest­era attaché à la célèbre chute Mont­morency, située dans la région de Québec.

En 1630, le frère du roi Louis XIII, Gaston d’Orléans organ­ise un soulève­ment du roy­aume. Henri II de Mont­morency, influ­encé par la reine-mère, Mar­ie de Médi­cis, qui était cousine avec son épouse Mar­ie Félicie Orsini, sou­tient la tent­at­ive du duc d’Orléans, et ral­lie les états du Langue­doc, mal­gré les mises en garde de Riche­lieu. Le 22 juil­let 1632, la province du Langue­doc fait séces­sion. Mais Toulouse reste fidèle au roi, Car­cas­sonne et Nar­bonne refusent d’accueillir les rebelles. Les insur­gés se heur­tent, devant Castel­naudary, à l’armée roy­ale dirigée par Schomberg. Tandis que Gaston d’Orléans prend la fuite, Henri II de Mont­morency est blessé et empris­on­né. Le duc est jugé et con­dam­né à mort pour crime de lèse-majesté. Il sera décap­ité dans la cour du Cap­it­ole de Toulouse le 30 octobre 1632.

Tous ses biens sont con­fisqués, et not­am­ment le château de Chan­tilly. La bib­lio­thèque des Mont­morency sera alors trans­mise aux Condé.

C’est donc ain­si que s’éteint cette illustre branche de la famille, et que le domaine de Chan­tilly change de pro­priétaire. Pas com­plète­ment toute­fois puisqu’en 1643, Louis XIII le rend à la sœur aînée d’Henri II, Char­lotte Mar­guer­ite de Mont­morency, prin­cesse de Con­dé par son mariage avec Henri II de Bour­bon Con­dé, premi­er Prince de sang.

L’amirauté de France est supprimée en 1627 par le car­din­al de Riche­lieu qui se déclare grand maître de la nav­ig­a­tion et qui veut avoir l’ensemble du pouvoir nav­al à sa dis­pos­i­tion. Louis XIV rét­ablit l’amirauté par édit du 12 novembre 1669.

Texte :

ff. 1 – 4, Exer­ci­ti­um. Quo­tidi­an­um. Cum mane sur­gis, muni­ens te signo S[anctæ]. Cru­cis, dic.

ff. 5 – 8, Ini­ti­um sanc­ti Evan­gelii secun­dum Joannem

ff. 9 – 45v, Offi­ci­um Beatæ Mariæ

ff. 46 – 50, Hym­nus SS. Ambrosii & Augustini

ff. 51 – 62v, Offi­ci­um Sanc­tæ Crucis

ff. 63v-115, Offi­ci­um Sanc­ti Spiritus

ff. 75 – 116, Les Sept Psalmes pén­it­en­ti­aux, avec leurs argu­mens sür chaque Pseaume

ff. 116 – 128, Les Lit­an­ies ou suplic­a­tions de l’Eglise Cat.

ff. 126v-128v, Orais­on devant la communion

ff. 129 – 134v, En la pres­ence du S. Sac­re­ment & a l’instant de la com­mu­nion.

Notons que ce livre d’heures est bilingue lat­in-français, avec not­am­ment les Psaumes (ff. 75 – 116) traduits en français, ce qui est assez rare au XVIIe siècle. Rares sont d’autant plus ces Argu­ments rédigés à la première per­sonne du sin­guli­er par l’auteur du manuscrit (ff. 100 – 100v), qui sont con­fes­sions (ff. 111v-112) et sup­plic­a­tions (ff. 112v-115v).

Ce petit livre d’heures à l’usage du haut dig­nitaire qu’est le duc de Mont­morency – à la graph­ie attribuée à Nic­olas Jarry (1615−1666) grand cal­li­graphe du XVIIe siècle – com­prend 8 grav­ures rehaussées de couleurs éditées par deux grands marchands d’estampes de la première moitié du XVIIe siècle, le français Jean Mes­sager (vers 1572 – 1649) et le flamand Théodore Galle (1571−1633) :

Frontis­pice, Christ cru­ci­fié avec les instru­ments de la passion

f. 4v, Appar­i­tion de la Vierge à saint Jean

f. 8v, Annon­ci­ation, signée « I Mes­sagi­er ex[cutit] »

f. 50v, Crucifixion

f. 63, Pentecôte

f. 74v, Roi Dav­id voy­ant l’ange de la mort

f. 128v, Saint Sacrement

derni­er feuil­let, Cir­con­cision, « Accepit eum in ulnas suas, et bene­dixit Deus » « Theod. Galle excud[it] ».

Jean Mes­sager tient son com­merce en 1622 à l’enseigne de l’Espérance, rue Saint-Jacques, qui devi­ent alors le centre du com­merce de la grav­ure à Par­is. Imprimeur en taille-douce, éditeur et marchand d’estampes, il édite not­am­ment des graveurs flaman­ds venus trav­ailler à Par­is, d’Anvers ou de retour de Rome. Il trav­aille d’abord en 1623 en asso­ci­ation avec les plus grands (Mel­chi­or Tav­erni­er, Jean Math­ieu, Frémine Ricard, etc.) pour l’impression des planches du Céré­mo­ni­al de l’Eglise et du Pon­ti­fic­al romain de Clé­ment VIII[1]. Mes­sager fut l’un des tout premi­ers éditeurs à pub­li­er des alman­achs illus­trés, dont la mode se général­isera tout au long du XVIIe siècle.

Par­ticulière­ment lié aux imprimeurs spé­cial­isés dans les ouv­rages de la Contre-Réforme, Jean Mes­sager va produire de nom­breuses planches pour livres reli­gieux et il mul­ti­plie frontis­pices et planches pour les bibles, brévi­aires, mis­sels et livres d’heures[2] dans la première moitié du XVIIe siècle. Le 30 décembre 1637, il vend pour 12000 livres son fonds de planches et d’estampes à Pierre I Mari­ette auquel il loue L’Espérance, que Mari­ette achètera par la suite.

Deux de ses œuvres les plus célèbres sont des grav­ures sur cuivre pub­liées en sa qual­ité d’éditeur : Notre-Dame de Liesse et une Ador­a­tion des Mages (Par­is, Bib­lio­thèque nationale de France, Cab­in­et des Estampes). Mes­sager signe l’image à l’instar de la grav­ure de l’Annonciation (f. 8v) : « Iean Mes­sager ex[cudit] »

Théodore Galle, graveur flamand, se spé­cial­ise dans la représent­a­tion de sujets et dans l’exécution des grav­ures d’histoire et de dévo­tion reli­gieuse. Notons que la Pentecôte du f. 63 doit cer­taine­ment son inspir­a­tion d’une grav­ure de Théodore Galle (Orléans, musée des beaux-arts, inv. 2008.0.661). La grav­ure du frontis­pice doit égale­ment être de Galle.

Outre l’intérieur truffé par les plus grands de l’époque, ce livre d’heures est d’autant plus remarquable par sa mag­ni­fique reli­ure de chag­rin noir parsemée de pier­rer­ies, not­am­ment par la cor­naline du blason de l’amirauté de France. L’élément cent­ral du plat inférieur existant a été rajouté a pos­teri­ori. Pour­rait-on sup­poser qu’il y avait à l’origine le chif­fre du duc de Montmorency ?

L’imitation de l’Orient, dans le dessin des contre­plats (encadre­ment autour d’une man­dorle cent­rale) et le décor fili­grané d’or strié d’argent, est l’une des cara­ctéristiques styl­istiques de l’atelier de Macé Ruette (1584−1644), célèbre relieur de la première moitié du XVIIe siècle. L’autre est l’inclusion de pierres semi-pré­cieuses (tur­quoises, cor­naline, …) et les gardes de papi­er rose (voir la reli­ure des Heures de Nostre Dame […] avec plusieurs prières nou­velle­ment faites par le R. P. Cot­ton, Par­is, Eustache Fou­cault, 1610 con­ser­vée à la John Rylands Lib­rary de Manchester (Ang­le­terre)).

Macé Ruette s’installe à son compte en 1606 et acquiert par la suite une place import­ante au sein de la com­mun­auté des imprimeurs, lib­raires et relieurs puisqu’il est de 1629 à 1634 admin­is­trat­eur de la Con­frérie. En 1634, il reçoit le titre de relieur du roi, charge qu’il occu­pera jusqu’à sa mort, en 1644.

Le bib­li­o­phile Raphaël Esmeri­an (1903−1976) a dis­tin­gué deux grandes phases dans sa pro­duc­tion. Dans le premi­er tiers du XVIIe siècle, jusqu’en 1620 environ, celle-ci se con­forme aux styles cara­ctéristiques du moment (prin­cip­ale­ment des décors à la fan­fare de type tardif et des décors d’encadrement « à la Duseuil »). Du début des années 1620 jusqu’en 1634, on relève toute une série de reli­ur­es de petit format réal­isées pour l’amateur Habert de Mont­mor (1600−1679), qui offrent la par­tic­u­lar­ité de com­port­er le nou­veau matéri­el de dor­ure de l’atelier, avec des fers fili­granés, agencés au centre des plats sous forme de petites gerbes, sim­il­aires à la reli­ure qui nous occupe.

Cette dernière est d’ailleurs citée par Isa­belle de Coni­hout dans son art­icle sur les reli­ur­es de luxes du XVIIe siècle dans lequel elle évoque le trav­ail de Macé Ruette. Ce même luxe et ce même style ori­ent­al­is­ant usité par Macé Ruette se ret­rouvent égale­ment dans les reli­ur­es réal­isées pour la reine Mar­ie de Médi­cis, étudiées par Vanessa Selbach.

La fin­esse et la viva­cité des couleurs qui rehaus­sent les grav­ures, mais aus­si la dor­ure des bouts-de-ligne et culs-de-lampe par­ti­cipent à la richesse de ce manuscrit. L’ensemble des élé­ments cal­li­graph­ique, artistique et bib­li­o­phil­ique laisse nul doute à une data­tion de ce livre d’heures dans les années 1620.

La réunion de ces richesses fait de ce livre d’heures un exemple vibrant de l’art bib­li­o­phil­ique du début du XVIIe siècle et par­ti­cipe à sa rareté.

État : Reli­ure per­due par l’usage (plats usés, coins légère­ment émoussés, quelques pierres man­quantes ou rem­placées, charnières ancien­nement res­taurées, un ferm­oir incom­plet). Exem­plaire en très bon état intérieurement.

[1] Doc­u­ments du Minu­ti­er cent­ral con­cernant les pein­t­res, les sculpteurs et les graveurs au XVIIe siècle (1600−1650), tome premi­er, Archives Nationales, cote MC/ET/VI/193

[2] René Ben­oît, L’office de la Vierge Mar­ie à l’usage de Rome (Par­is, 1602) ; René Ben­oît, L’office de la Vierge Mar­ie à l’usage de Rome (Par­is, Clo­vis Eve, [1603]) ; Brevi­ari­um Par­is­i­ense (Par­is, Abel L’Angelier, 1607) ; Heures à l’usage de Nostre Dame à l’usage de Rome (Par­is, Jean Ges­selin, 1603) ; et Missale Roman­um (Par­is, 1617 et 1618).

Bib­li­o­graph­ie : Reli­ur­es de quelques ateliers du XVIIe siècle, livres en divers genres des XVIIe et XVIIIe siècles… Bib­lio­thèque Raphaël Esmeri­an, deux­ième partie… [vente, Par­is, Pal­ais Gal­li­era, 8 décembre 1972], Par­is, G. Blaizot. Cl. Guérin, 1972, pp. 9 – 17, n° 4 – 17 ; CONI­HOUT Isa­belle de, « Bijoux de dévo­tion. Caniv­ets, reli­ur­es et livres de luxe pour Mar­ie de Médi­cis » in : NAT­IV­EL Colette (dir.), Henri IV. Art et pouvoir, Tours, Presses uni­versitaires François-Rabelais et Presses Uni­versitaires de Rennes, 2016, pp. 219 – 257 ; SEL­BACH Vanessa, « L’activité de l’éditeur d’estampes par­is­i­en Jean Mes­sager (vers 1572 – 1649) : l’affirmation de la grav­ure française du premi­er quart du XVIIe siècle, au car­re­four des influ­ences flaman­des et itali­ennes », in : In Monte Arti­um. Journ­al of the Roy­al Lib­rary of Bel­gi­um, volume 3, 2010, pp. 35 – 51.