Une nièce et sa tante
MAHUL, Emma (née DEJEAN)
Notice nécrologique sur Madame la comtesse Aurore Dejean et Première mise au net du manuscrit d’un Roman commencé à Castellamare (de sa propre main)
En français, manuscrits sur papier
France, 1858 et 1863
2 cahiers de 1 ff. page de titre et 38 ff. écrits (Notice) ; 1 ff. page de titre, 72 ff. écrits (Roman), encre brune ; le cahier de la « Notice » comprend un tampon sur la première page du papetier-libraire Étienne (46 rue de la Paroisse, Versailles). Dimensions : 225 × 180 mm (notice) et 213 × 175 mm (roman).
English abstract
MAHUL, Emma (born DEJEAN).
Notice nécrologique sur Madame la comtesse Aurore Dejean ; fair copy of Roman commencé à Castellamare (autograph)
In French, manuscripts on paper
France, 1858 and 1863
Two unpublished manuscript works by Stéphanie Emma Elisabeth Mahul born Dejean in 1815. She married Alphonse Mahul (1795-1871) and moved to Avignon where she attended the local literary and artistic society. She is attracted to the poetry and persona of Petrarch and actively translates his works into French. She moved to Italy where she led a very independent existence.
Réunion de deux ouvrages manuscrits inédits par Stéphanie Emma Elisabeth Mahul, née Dejean.
Stéphanie Emma Élisabeth Dejean, née en 1815, est le cinquième enfant de Pierre François Marie Auguste, deuxième comte Dejean et général des armées de l’Empire (1780−1845) et d’Adèle Barthélémy (1786−1872). Fière d’appartenir à la noblesse d’Empire, Emma épouse en 1833 l’un des plus beaux partis de l’époque : Alphonse Mahul (1795−1871), député de l’Aude siégeant dans la majorité soutenant la Monarchie de Juillet. Elle rejoint son époux, nommé en 1837 préfet du Vaucluse, à Avignon, où elle fréquentera la société littéraire et artistique locale. Un portrait d’elle sera réalisé par le peintre Eugène Devéria (mentionné par le Messager de Vaucluse du 13 février 1840).
C‘est dans ce cadre qu’elle s’éprend de la poésie de Pétrarque. Elle va dès lors consacrer sa vie à la traduction de ses œuvres. En 1847, elle publie anonymement une traduction de cent cinquante sonnets avec le texte en regard (Cent cinquante sonnets et huit morceaux complémentaires traduits des sonnets de Pétrarque, texte en regard, Paris, F. Didot frères, 1847). En 1859, date à laquelle elle offre notre « Notice nécrologique » à sa mère, elle entreprend son premier voyage en Italie, pour s’installer définitivement à Livourne en 1864. Un an après, elle entreprend le manuscrit du roman qui nous occupe. Les nouvelles éditions des Cent cinquante sonnets […] paraîtront dès lors à son nom ; elle sera honorée par l’Accademia Petrarca d’Arezzo par le titre d’associée correspondante. Emma achève la traduction des sonnets de Pétrarque dans les années 1870 – 71. La découverte de Pétrarque et le déménagement en Italie la coupe complètement des siens. Elle meurt esseulée à Livourne en 1879.
Seule l’Italie reconnut son talent et le récompensa. Nous pouvons nous laisser à penser que la fascination d’Emma pour l’Italie lui vint de sa famille Barthélémy émigrée dans ce pays d’adoption, dont elle fait ici le récit.
Notice nécrologique sur Madame Aurore Dejean
Emma Dejean-Mahul signe et date au 38e feuillet ce manuscrit. Elle précise qu’il est copié de sa main en 1859 et offert à Madame la Comtesse Adèle Dejean, sa mère. Dans un post-scriptum au 38e feuillet, elle indique :
« Dans un long tête-à-tête avec la Comtesse Adèle ma mère j’ai pu être renseignée sur la jeunesse de sa sœur et sur une foule d’autres faits mieux que par une des personnes vivantes de la famille et d’autant que la défunte qui fait l’objet de cette notice n’était pas comtesse et n’avait pas la mémoire de sa sœur. Cette considération jointe à l’affection réciproque qui m’unissait à celle que nous regrettons, m’a déterminée plus que tout autre à prendre la plume ».
Emma Mahul née Dejean écrit en mémoire de sa tante, Aurore Barthélémy-Dejean (1777−1858), tout juste décédée. Aurore épouse en 1801 Jean François Aimé, comte Dejean, général de la Révolution française, ministre de Napoléon et sénateur sous l’Empire. Ce comte Dejean est d’ailleurs le grand-père paternel d’Emma, père d’une première noce d’Auguste Dejean. Le récit début lorsqu’Aurore, jeune provençale de quinze ans (en 1792), émigre en Italie avec sa famille. Emma dresse alors son portrait : d’une morale noble, d’une foi solide, malgré des épisodes de sa vie « fantasques ». Elle évoque ses premiers amours malheureux, dont le peintre, baron Gros, alors méconnu, et relate la rencontre, en 1800, avec le général Dejean, alors âgé de cinquante-et-un an et gouverneur de la république de Gênes. Emma se fait critique acerbe du physique de sa tante, ainsi que de sa situation maritale « moins souhaitable » (f. 12) que sa cadette et mère d’Emma, Adèle. Aurore vécut avec bonheur sa vie maternelle, avec sept enfants, et ses cinq neveux et nièces qu’elle considérait comme siens, dont la narratrice. De par sa longévité, elle vécut malheureusement bien des décès de son entourage. Emma détaille aussi le statut social du comte Dejean, l’ensemble de ses titres, et la maisonnée de ce couple aristocrate.
Écrit à la manière d’un journal romanesque, ce récit est bien plus qu’une notice nécrologique. C’est une véritable histoire de famille et de la société française sous la Restauration : la société parisienne, la mode, les jeux, les dîners, et les bals de l’époque sont narrés ; les résidences et propriétés sont dénombrées.
Aurore décède tragiquement de ses brûlures un jeudi 21 janvier 1858 après que ses vêtements ont pris feu. Elle repose actuellement au cimetière du Père-Lachaise. Un portrait d’elle peint en 1805 par Robert Lefèvre est connu. Ce portrait est fidèlement décrit par Emma Mahul (f. 35 et 35v), ainsi qu’un autre peint par Calixte Serrur vers 1827 (localisation actuelle inconnue). La narratrice évoque des tableaux de famille, peints par Serrur en 1822 (qui eut un grand succès à l‘exposition) et par un italien nommé V. Vita.
Roman commencé à Castellamare
Ce récit, comme l’indique Emma Mahul sur sa page de titre, commence à être rédigé en Italie, à Castellammare (l’attachement de cette femme de lettres pour la Sicile laisse à penser qu’il s’agit de Castellammare del Golfo dans la province de Trapani). A partir de 1863, Emma commence son roman et fréquente de plus en plus l’Italie avant de s’y installer définitivement un an plus tard.
Après une introduction toute en poésie, le roman débute par les noces d’Eugène de Beaumont et d’Adeline de Valfort, personnages fictifs, dans un village français des années 1830. La jeune Adeline, devenue veuve brutalement, devient la protégée de son grand-père. Elle s’essaye au chant, sans grand succès ; la narratrice émet d’ailleurs un point de vue personnel à la page 43 : « Je n’ai jamais eu la clef de ce système ; tout ce que je sais c’est qu’il a rendu la société fort ennuyeuse et a placé beaucoup de nos couronnes de Comtesses sur la tête des actrices car enfin il y a des français qui aiment la musique et s’en font une idée d’autant plus relevée qu’ils sont plus incapables d’y réussir. » Le duo se retrouve à Milan, intégrant la société milanaise qui n’apprécie guère Adeline. La jeune fille va néanmoins rencontrer l’Amour – bien qu’éphémère – en la personne de Paolo, jeune comte vénitien.
Le manuscrit s’achève sur le retour d’Adeline et de son grand-père, à Crêstebonne, dans le manoir familial. Emma Mahul écrit-elle sur une personne de son entourage ? Il semble, du moins, qu’Emma s’inspire du monde qui l’environne, afin d’en faire une critique assez cinglante.
Voir : Duperray Ève, L’Or des mots. Une lecture de Pétrarque et du mythe littéraire de Vaucluse des origines à l’orée du XXe siècle. Histoire du pétrarquisme en France, Paris, 1997, pp. 232 – 268.