Incunables lithographiques dédiés à la lithographie, lithographiés par Marcel de Serres
SERRES, Marcel de (1780-1863)
Pièces relatives à l’impression lithographique : deux lettres adressées à Marcel de Serres ; deux essais d’impression lithographique
En français, deux lettres sur papier ; deux impressions lithographiques l’une sur papier fort blanc et l’autre sur papier fort teinté jaune
France (Paris) et Allemagne (Bavière), lettres signées 29 et 30 juin 1810
English abstract
[SERRES, Marcel de (1780-1863)].
Documents pertaining to lithographic printing: Two trials of lithographic printing; Two letters addressed to Marcel de Serres by the French Ministry of Interior.
In French, two lithographic imprints on thick white paper and the other on thick paper dyed in yellow; both letters on paper with letterhead
France (Paris) and Germany (Bavaria), letters dated 29 and 30 June 1810.
In May 1809, advised by Daru, « commissaire de la Grande Armée », Napoleon sent Marcel de Serres to Austria with the explicit mission to « visit manufactures in Vienna and its surroundings to determine the inventions and industrial advancements that could be introduced in France. » Curious by nature and well-versed in a number of fields, Marcel de Serres sent reports to the French State in a number of scientific and artistic domains. He hoped the French administration would follow his advice and adopt the recently discovered revolutionary technique of lithographic printing. He sends his “note” to the French Ministry of Interior in April 1810 but his two trials of lithographic printing are returned to him for lack of interest.
Despite the enthusiasm of Marcel de Serres, France will remain, at first, oblivious to this technological advancement. The two trials here presented are witnesses to this form of “industrial spying”: both trials are of the utmost rarity and unique.
Un cas d’espionnage industriel non abouti : l’invention de la lithographie non retenue par le gouvernement français malgré l’enthousiasme de Marcel de Serres.
Né à Montpellier en 1780, Pierre Toussaint Marcel de Serres de Mesplès se pensait un descendant, à la huitième génération, du célèbre agronome ardéchois, Olivier de Serres. Aisée, sa famille connaît des revers de fortune. Marcel de Serres gagne alors Paris où il bénéficie de la bienveillance du Montpelliérain Pierre-Antoine-Noël-Mathieu Bruno Daru (1767−1829), commissaire général de la Grande Armée et homme de confiance de Napoléon Ier. Spécialisé dans l’entomologie, Marcel de Serres travaillera au Museum d’Histoire naturelle en 1807.
Napoléon occupe Vienne au printemps 1809. Dès le 22 mai 1809, par l’entremise de Daru, Napoléon envoie Marcel de Serres avec le titre d’inspecteur des sciences, arts et manufactures de l’Université impériale de Vienne, en Autriche (mais aussi au Tyrol, en Bavière et sur les rivages de la mer Baltique) avec pour but de « visiter les manufactures des établissements de Vienne et des environs pour voir quels sont les perfectionnements que l’on peut apporter à celles déjà établies en France ». Marcel de Serres avait pour mission de recenser les sciences et techniques développées en Allemagne, en Autriche et dans les provinces Illyriennes susceptibles d’apporter quelque profit à l’industrie française et au Museum. Le 19 juillet 1809, Marcel de Serres est nommé professeur de minéralogie et de géologie à la faculté des sciences de Montpellier, inaugurant ainsi la première chaire de France consacrée à cette spécialité : il ne prendra ses fonctions qu’à son retour en France en 1811.
Lors de sa mission dans ces territoires conquis, Marcel de Serres s’intéresse à tous les domaines, et ses rapports témoignent d’une grande érudition et d’une curiosité sans bornes ; il s’intéresse aussi bien au système d’arpentage en vigueur en Bavière, qu’aux dernières techniques utilisées par les brasseurs, sans négliger pour autant celles de fabrication en tous genres telle la porcelaine, la fonte, les faux et autres mais surtout les derniers perfectionnements en matière de lithographie. La liste des rapports qu’il adressait régulièrement au comte Jean-Pierre de Montalivet (1766−1823), ministre de l’intérieur témoigne qu’il s’agit d’intelligence économique, ou plus prosaïquement d’espionnage industriel. À son retour en France, il consacra de longs mois à la mise au point définitive de ses rapports qu’il fit imprimer. L’ensemble de son travail de collecte, fort de 12 tomes, sera publié en 1814, 1821 et 1823.
Parallèlement, infatigable homme de terrain, spécialiste des cavernes à ossements et des calcaires moellons, Marcel de Serres fut « l’inventeur » du quaternaire et dut affronter Cuvier qui s’acharna à ridiculiser ses thèses. Par ailleurs, nommé juge, il finit par démissionner, n’arrivant pas à se résoudre à prononcer la peine de mort.
C’est, en partie, grâce à Marcel de Serres que la technique de la lithographie, inventée à Munich par Aloys Senefelder, sera introduite en France. Aloys Senefelder (Prague, 1771-Munich, 1836) invente la technique de la lithographie en 1796, afin d’imprimer son propre travail d’auteur (il était acteur et auteur dramatique), et devint dans la foulée imprimeur. Après une longue période d’essais et de tâtonnements, il a l’idée d’utiliser la pierre qui lui servait à préparer ses couleurs au lieu des plaques de cuivre et de zinc qui ne lui ont donné que des résultats médiocres. Cependant le procédé qui consiste à remplacer la plaque de métal par une pierre n’a en soi rien de nouveau puisque Senefelder reconnaît avoir vu des plaques d’ardoises dans la boutique d’un imprimeur. La véritable découverte de Senefelder, qui se fera plus tard, relève de la chimie.
Ayant un jour, faute d’encre et de papier, utilisé une pierre pour y écrire une liste en se servant du mélange de cire, de suif, de noir de fumée et d’eau dont il se sert pour ses plaques de métal, Senefelder a l’idée de plonger la pierre dans un bain fait d’une mesure d’eau-forte pour dix mesures d’eau. Au bout de cinq minutes, les parties écrites sont restées intactes et font maintenant saillie de l’épaisseur d’une carte à jouer. Les ayant encrées de façon satisfaisante au bout d’un certain nombre d’essais, il réalise un tirage dont la qualité le persuade de continuer à développer ce procédé. Senefelder appelle cette nouvelle technique « Chimiegrafie » (« chimigraphie ») ou plus spécifiquement, « Steindruckerei » (« imprimerie sur pierre »). L’appellation de « lithographie » apparaît en France vers 1803 lorsque la technique définitive se répand. La lithographie était donc connue en France mais « son développement végétait cependant » (Poncet, 2006, p. 369). Senefelder demande aux frères André d’Offenbach de s’associer avec lui pour diffuser son procédé en Angleterre et en France : la tentative en France en 1802 sera infructueuse, malgré le fait que Frédéric André avait obtenu avec succès un brevet d’importation en février 1802. Quelques impressions de musique sortiront des presses lithographiques d’André à Charenton (voir E. Lebeau, « Les débuts ignorés de l’imprimerie lithographique, Charenton, Paris, 1802 – 1806 », in Bulletin de la Société le Vieux Papier, 1er juillet 1952, pp. 250 – 257).
Marcel de Serres a l’idée que la lithographie peut avoir des applications qui vont bien au-delà de la diffusion des œuvres artistiques, et peut servir aux impressions administratives et industrielles. Il s’adresse donc au Ministère de l’intérieur en avril 1810 et soumet sa « Note sur la lithographie et principalement sur quelques moyens encore peu connus de cet art intéressant et sur une nouvelle méthode d’imprimer les étoffes à l’aide de cylindres en pierre » (Munich, 30 avril 1810, Paris, CHAN, section du XIXe siècle). Les promoteurs locaux en Bavière de cette technique étaient Johan Christoph von Aretin, directeur de la bibliothèque royale de Munich et Johan Christian von Manlich, directeur du Musée de Munich, cités dans les essais envoyés à Montalivet (voir infra). Dès 1809, De Serres avait fait publier une « Notice sur l’imprimerie chimique », Annales de chimie, vol. 72 (1809), pp. 202 – 215.
Le ministère de l’intérieur ne donna pas suite aux notes et courriers insistants de Marcel de Serres : accusant tout d’abord la bonne réception de la « note » de Marcel de Serres (voir pièce no. 2) le 29 juin 1810, le ministre Montalivet, par la lettre datée du 30 juin 1810 (voir pièce no. 3 infra), fonde « son refus officiel du 30 juin 1810 sur l’existence de brevets déjà accordés et sur des conditions financières trop désavantageuses pour le gouvernement français. Plus profondément cependant, l’indépendance industrielle française ne pouvait s’accommoder alors d’un fournisseur bavarois pour ses impressions officielles » (Poncet, 2006, p. 372). Suite au refus du ministère d’adopter le procédé d’impression lithographique pour les publications administratives – et peut-être à cause de cela – de Serres demanda son rappel en France en août 1810.
La lithographie sera malgré tout introduite en France en 1815 avec les imprimeries de Lasteyrie (Paris) et d’Engelmann (Mulhouse, puis Paris). Charles de Lasteyrie (1759−1849) achète des pierres en 1804. En 1812 et 1814, donc peu de temps après les tentatives de Marcel de Serres, Lasteyrie fait deux séjours à Munich. Grâce à l’appui du comte de Cazes, Lasteyrie sera finalement celui qui monte une presse au Ministère de la Police et publie des lithographies de Lettres autographes et inédites de Henri IV. Lasteyrie ouvre son imprimerie à Paris en 1816 et contribue à la diffusion de la lithographie.
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Deux essais d’impression lithographique. Le premier sur papier jaune (défauts d’impression ; dimensions : 205 × 130 mm) ; le second sur papier fort blanc (dimensions : 190 × 165 mm). Le texte reproduit est le suivant : « L’art de la lithographie inventée par Alois Sennefelter, et perfectionnée par Messieurs Manlich et le baron d’Arétin. Munich, le 2 avril 1810. Michel de Serres ». En avril 1810, Marcel de Serres accompagnait ses courriers et notes au ministère de l’intérieur d’exemplaires de toiles et de papiers – comme ceux-ci – imprimés au moyen de la nouvelle invention (Paris, CHAN, F12 622).
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Accusé de réception et avis de l’ordre qui défend d’imprimer aucun mémoire de M. de Serres sans y joindre son nom et sans une autorisation spéciale, 29 juin 1810. Bi-feuillet, L.S. sur papier à entête du Ministère de l’intérieur, 2e division. Bureau des arts et manufactures. Signé « Fauchat » [Secrétaire général du ministre de l’intérieur Montalivet].
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Motifs qui ne permettent pas d’accepter les offres de MM. d’Arétin et Manlick, relatives à leur projet d’établissement lithographique en France, Paris, 30 juin 1810. Bi-feuillet (3 pages écrites). L.S. sur papier à entête du Ministère de l’intérieur, 2e division. Bureau des arts et manufactures. Signé : « Montalivet » [Jean-Pierre de Montalivet, nommé Ministre de l’intérieur, 1er octobre 1809]. Mention rajoutée dans le coin gauche inférieur : « répondu le 1. Aout » (de la main de Marcel de Serres ?).
Sources : Paris, Archives nationales, Papiers de Marcel de Serres (1802−1843). Inventaire analytique (AB / XIX / 5133) (inventaire par S. Lacombe) : « Les quelques dossiers en notre possession se rattachent principalement à la mission de Marcel de Serres en Allemagne, Bavière et Autriche. Bien sûr, il ne s’agit que d’une petite partie des archives de Marcel de Serres que l’on peut imaginer nombreuses au vu de son activité ». – Paris, CNAM, M42/1 – 6 : « The archives at the Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) include three letters and two Notices, as well as related drawings, sent from Bavaria by Marcel de Serres to the Comte de Montaliset [sic] Minister of the Interior in France » (Szrajber, 2000, p 123).
Bibliographie : De Serres, Marcel. Essai sur les arts et manufactures de l’empire d’Autriche, 3 vol., Paris, 1814 – 1815. – De Serres, Marcel. « Notice sur l’imprimerie de chymique, et principalement sur les progrès que cet art a fait en Allemagne », in Annales de chimie, tome 72, octobre 1809, pp. 202 – 215. – De Serres, Marcel. « Notice sur la lithographie ou sur l’art d’obtenir une impression avec la pierre », in Annales des arts et manufactures, 51, mars-juin 1814, pp. 307 – 330. – Twyman, M. Lithography 1800 – 1850, Oxford, 1970. – Twyman, M. Breaking the Mould : The First Hindred Years of Lithography, Londres, British Library, 2001. –Szrajber, Tania, « Marcel de Serres: Documents on Early Lithography », in Print Quarterly Vol. 17, no. 2 (juin 2000), pp. 123 – 132. – Poncet, Olivier, « Un espion économique au service de l’Empereur : la mission de Marcel de Serres en Bavière (1810) / Ein Wirtschaftsspion im Dienste des Kaisers : Die Mission des Marcel de Serres in Bayern (1810) », in France Bayern. Bayen und Frankreich. Wege und Begegnungen 1000 Jahre bayerisch-französische Beziehungen. France-Bavière. Allers et retours. 1000 ans de relations franco-bavaroises, Paris et Munich, 2006, pp. 367 – 373. – [Exposition. Paris. 1982]. La lithographie en France des origines à nos jours, Paris, 1982.